Quand la finance devient verte : la métamorphose énergétique en marche
C’est une petite révolution silencieuse mais à fort impact : l’essor de la finance verte redessine les flux d’investissements en Europe et propulse les énergies renouvelables vers le devant de la scène. Depuis près d’une décennie, banques, fonds d’investissement, assureurs et même particuliers réorientent leurs capitaux vers des projets plus écologiques, sous l’impulsion d’une prise de conscience climatique mais surtout grâce à un arsenal réglementaire de plus en plus structurant.
En 2023, les investissements mondiaux dans les énergies propres ont dépassé pour la première fois ceux destinés aux énergies fossiles, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), avec plus de 1 700 milliards de dollars dirigés vers le solaire, l’éolien, la géothermie et les réseaux intelligents. L’Europe, pionnière en matière de finance responsable, joue un rôle clé dans cette transformation grâce à une panoplie de dispositifs financiers incitatifs et de normes réglementaires ambitieuses.
Taxonomie verte européenne : le cap donné aux investisseurs
Au cœur de cette transformation se trouve la fameuse taxonomie verte, un outil de classification mis en place par l’Union européenne pour aider les investisseurs à identifier les activités économiques durables. Adoptée en 2020 dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe (Green Deal), elle trace une ligne claire entre ce qui peut être considéré comme « durable » ou non, sur la base d’objectifs environnementaux précis.
Une activité doit notamment contribuer substantiellement à au moins un des six objectifs environnementaux définis par l’UE — dont la lutte contre le changement climatique — sans nuire aux cinq autres (principe du « Do No Significant Harm »). Et sans surprise, les énergies renouvelables comme le solaire, l’éolien, l’hydroélectricité ou encore certains projets d’hydrogène vert y figurent en bonne place.
Selon la Commission européenne, cette taxonomie devrait permettre de mobiliser plus de 1 000 milliards d’euros d’ici à 2030 pour financer la transition énergétique. Elle constitue également un langage commun pour les investisseurs, réduisant les risques d’écoblanchiment (ou greenwashing) et augmentant la transparence du marché.
Les obligations vertes, moteur de la transition
Derrière les belles promesses, quels outils mobilise concrètement la finance verte pour verdir les investissements ? En tête : les obligations vertes. Ces titres de créance servent à financer exclusivement des projets à impact environnemental positif.
L’Union européenne est devenue l’un des plus grands émetteurs mondiaux d’obligations vertes, notamment à travers le programme NextGenerationEU post-Covid-19. Au total, plus de 250 milliards d’euros devraient être levés via ces titres d’ici 2026 afin de soutenir le développement durable, dont une large part est destinée aux énergies renouvelables, à l’efficacité énergétique et à la mobilité propre.
Et ce n’est pas que du discours : des géants comme Enel (Italie), EDF (France) ou Vestas (Danemark) ont financé d’ambitieux parcs éoliens ou solaires à travers ces mécanismes. Les États s’y mettent aussi. La France, pionnière dans le domaine, a lancé sa première obligation verte souveraine en 2017 pour financer des projets bas-carbone. Elle a depuis levé plus de 45 milliards d’euros.
Des banques engagées (ou forcées) à verdir leurs portefeuilles
Sous la pression conjointe des régulateurs, des ONG et du public, les banques européennes revoient la composition de leurs portefeuilles. Terminé les gros financements au charbon – ou presque. Plusieurs établissements, comme BNP Paribas, ING ou la Banque Postale, annoncent des objectifs de sortie des énergies fossiles et une hausse des investissements verts. La Banque européenne d’investissement (BEI), désormais baptisée la « banque du climat », s’est engagée à aligner l’ensemble de ses prêts sur les objectifs de l’Accord de Paris dès 2025.
Cette dynamique est également soutenue par des réglementations fortes : le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), en vigueur depuis 2021, impose aux acteurs financiers européens de dévoiler l’impact environnemental de leurs produits financiers. De quoi accélérer la mue des portefeuilles et diriger davantage d’argent vers des projets renouvelables.
Le rôle inattendu des citoyens dans la finance verte
Et si les petits épargnants étaient eux aussi des acteurs de cette révolution financière ? Grâce à l’essor des placements responsables et aux plateformes de financement participatif vert, de plus en plus de Européens orientent volontairement leur épargne vers des projets d’énergie renouvelable. Qu’il s’agisse d’un parc solaire dans la Drôme, d’un projet de méthanisation agricole en Wallonie ou d’éoliennes citoyennes en Allemagne, les occasions fleurissent.
Le label français Greenfin, mis en place par le ministère de la Transition écologique, aide justement les citoyens à s’y retrouver. Il garantit la transparence et l’impact environnemental des fonds d’investissement labellisés, tout en excluant les entreprises actives dans les énergies fossiles ou le nucléaire.
Selon Novethic, filiale de la Caisse des Dépôts et experte en finance durable, les encours des fonds verts ont ainsi bondi de 38 % entre 2021 et 2023, atteignant près de 90 milliards d’euros dans l’espace UE — dont une part croissante dédiée à l’électrification renouvelable.
Des progrès visibles, mais des défis à surmonter
Si la finance verte a définitivement changé la donne pour les énergies renouvelables, tout n’est pas encore gagné. Les défis restent nombreux : délais administratifs, manque de projets « bancables », pénurie de matières premières critiques (comme le lithium pour les batteries), ou encore dépendance aux importations de panneaux solaires asiatiques.
En parallèle, certains observateurs pointent du doigt des défauts dans la taxonomie actuelle : inclusion temporaire du gaz naturel et du nucléaire par exemple, considérés par certains comme des compromis politiques risquant d’atténuer l’ambition écologique.
Autre point de vigilance : de nombreuses entreprises classées comme « vertes » selon les critères techniques européens n’ont pas nécessairement une gouvernance ou une trajectoire alignée avec la neutralité carbone. Une entreprise pétrolière peut très bien posséder une filiale d’énergie solaire… mais rester globalement polluante. Autrement dit, l’étiquette « verte » exige d’être scrutée de près.
L’Europe trace une voie, reste à l’approfondir
Une chose est sûre : la finance verte n’est plus un simple effet de mode. Elle est devenue un levier central — presque indispensable — pour accélérer la transition énergétique sur le vieux continent. En orchestrant une bascule massive du capital vers des projets sobres en carbone, elle offre aux énergies renouvelables un tremplin que peu auraient imaginé il y a seulement dix ans.
Reste à généraliser ces mécanismes, harmoniser les règles à l’échelle mondiale, et surtout garantir que les flux financiers verts soient réellement… verts. Car si l’argent est une formidable énergie motrice, encore faut-il qu’il coule dans les bonnes veines.
Sources :
- Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen relatif à l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables.
- Commission européenne – Pacte vert pour l’Europe : https://ec.europa.eu/commission/green-deal_fr
- Règlement SFDR – Règlement (UE) 2019/2088 sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers.
- Agence internationale de l’énergie (AIE), rapport World Energy Investment 2023.
- Novethic – Études sur les fonds verts européens 2023.